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 Diane Collongues

 

« Chaque point tissé devient une signature unique »

20districts : Diane, tu exposes une œuvre qui te tient à cœur « Fenêtre sur les silences » sur 20districts …

Diane Collongues : Oui, tout à fait. Chaque œuvre que je crée, naît d’une photographie argentique que je prends moi-même. J’ai voulu capturer un lieu familial qui va être vendu, un endroit chargé d’une mélancolie douce, presque palpable. Ce lieu est un fragment intime de mon histoire, un refuge de souvenirs dont la tristesse inspire toute ma création.

J’essaie de métamorphoser cette mélancolie en lumière, en une œuvre apaisante, presque thérapeutique. Tout commence par le choix des couleurs, celles qui, à mes yeux, vibrent d’une énergie intense et vivante.

Je cherche à créer ce que j’appelle un « brouillage visuel » : une forme de désorientation douce pour l’œil, née du contraste des couleurs vives. Ce jeu chromatique invite à la curiosité, à l’exploration, comme une promenade dans un rêve flou et coloré.

Pour donner vie à cette vision, j’utilise des laines soigneusement sélectionnées auprès de fournisseurs français, notamment dans l’Aveyron, région reconnue pour la qualité et la richesse de ses fibres.

Vient ensuite l’étape du tissage, où l’image initiale s’efface peu à peu, laissant place à l’abstraction. C’est le moment où la matière s’anime, où le sujet se transforme et s’élève, sublimé par la technique.

Je pratique deux techniques anciennes de tapisserie : la demi-duite et la hachure. La première se révèle par de petits points colorés, tandis que la seconde, en se mêlant à la première technique, permet de créer des dégradés subtils, des transitions délicates entre les couleurs.

Ces techniques, aujourd’hui presque tombées dans l’oubli, sont devenues mon combat passionné. Elles sont rares, quasi absentes des ateliers contemporains, et je me consacre à leur renaissance, à leur transmission.

Le tissage est aussi une méditation. Chaque pièce demande un temps considérable, pour ce triptyque par exemple : de100 à 120 heures de travail. Un engagement patient est nécessaire à la finesse du rendu et à la complexité des motifs.

Enfin, il y a ce moment unique qu’on appelle «la              tombée de métier ». Lorsque l’on tisse, l’œuvre reste enroulée sur elle-même, fragmentée, insaisissable dans sa totalité. Le jour où l’on déroule enfin la pièce, c’est un instant solennel, presque cérémoniel, chargé d’émotion.

Ces savoir-faire, tu les as appris à la prestigieuse Manufacture des Gobelins.

Mes quatre années de formation intense à la Manufacture des Gobelins m’ont permis d’intégrer ces techniques traditionnelles. Je me considère à la fois comme une artisane d’art et une artiste, car je ne produis que des pièces uniques.

Mais j’ai aussi choisi de tracer ma propre voie, de m’émanciper des cadres naturellement plus rigides de la manufacture pour être présente à chaque étape de la création : de la prise de vue photographique, au choix des couleurs, en passant par les techniques à appliquer, jusqu’à la réalisation finale.

Cette liberté totale me permet d’infuser dans chaque œuvre ma sensibilité, de créer des pièces qui ne pourront jamais être reproduites, où chaque point tissé devient une signature unique.

En tapisserie, les doublons sont quasiment impossibles : chaque création est, par essence, une pièce singulière, irréplicable, porteuse d’une histoire unique.