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Ekhi Busquet

 « L’artisanat peut repousser les limites du possible »

20districts: Ekhi, nous voici chez toi à Marseille, dans un appartement baigné de soleil, entourées de certaines de tes créations que tu présentes pour 20districts : « L’Heure Bleue ». 

Ekhi Busquet: En effet, tu as sous les yeux la collection complète, car elle comprend non seulement une console, mais également un miroir ! La console est une pièce entièrement métallique, fabriquée en acier cintré et anodisée à la main. Tout est réalisé manuellement et plongé dans des bains spécifiques par un artisan métallier de la région parisienne.
C’est une collection ancrée dans un savoir-faire d’exception. Pour ceux qui connaissent ce type de travail, on remarque des courbes très complexes, comme sur le miroir, par exemple, avec des effets de trompe-l’œil, de profondeur, des lignes biseautées, autant de détails d’une grande difficulté à obtenir à la main, notamment en l’absence de procédés standardisés ou industriels. C’est un excellent exemple de la manière dont l’artisanat peut repousser les limites du possible…

Comment l’idée des formes est-elle venue?

Il s’agit d’un hommage clair à un moment de la journée que j’affectionne tout particulièrement : l’heure bleue. Ce moment fugace qui peut survenir à l’aube ou au crépuscule, lorsque tout se pare d’une teinte bleutée parce que le soleil décline, la nuit approche, sans que le jour ne soit totalement disparu. C’est un instant que j’ai toujours chéri, peu importe où je me trouve, qu’il s’agisse d’un paysage urbain ou d’un cadre naturel profond, il dégage une certaine grâce. Il ne dure que quelques minutes, et je souhaitais le capturer, le figer dans le temps.

Cet appartement est très moderne, et comparé à un lieu plus rustique, il manque de caractère : il n’y a pas de cheminée, pas de détails architecturaux qui ancrent véritablement l’espace. Je ressentais le besoin d’une pièce qui puisse apporter cette présence, une véritable pièce maîtresse pour le salon.  Je voulais un élément que l’on remarque immédiatement, quelque chose que nous pourrions admirer ensemble depuis ce côté de la pièce.

 Es-tu prête à t’en séparer ?

« L’Heure Bleue » est réalisée sur commande, chaque pièce est unique et façonnée à la main. Et comme il s’agit d’un travail artisanal, il est également possible d’adapter les dimensions.

Cette pièce correspond à une taille standard qui convient à mon espace, environ 78 cm de hauteur, et j’ai délibérément maintenu la taille du miroir plus petite car je souhaitais que l’accent demeure sur la couleur, plutôt que sur la qualité réfléchissante du matériau.
C’est toute la beauté des objets faits main : tout peut être personnalisé, ajusté, taillé sur mesure.

Ton univers est extrêmement coloré, riche en formes. Nous aimerions en savoir plus sur ton parcours et tes influences.

J’ai étudié à l’École Boulle à Paris. J’ai eu la chance d’être admise dans l’une des meilleures écoles publiques de design à Paris. Ces écoles ouvrent véritablement des portes aux personnes issues de milieux divers.

Ce sont de véritables passerelles, avec un fort engagement en faveur de l’équité, et cela a profondément changé ma vie. C’était une expérience bouleversante, surtout venant du système scolaire public. Je tiens toujours à le souligner car cela a eu une importance capitale pour moi.

Je me suis spécialisée dans le design mobilier, ce qui m’a formée à travailler à partir de cahiers des charges structurés, à résoudre de multiples problématiques, en équilibrant forme et fonction, comme j’aime à le dire, mais aussi, en prenant en compte des problématiques telles que le coût, les matériaux et le volume de production. Se pose aussi la question des approvisionnements, des matières premières utilisées, de qui fabrique, qui façonne ? Puis, d’un point de vue pratique, est-ce que le projet sera épanouissant pour l’artisan qui le réalisera, ou bien s’avérera-t-il fastidieux et peu motivant ?
En tant que designer, vous êtes également un activateur et un guide du processus de production, et parfois vous devez prendre des décisions qui ont un impact sur la qualité de l’expérience de travail de l’artisan. C’est une réalité dont il faut être conscient.
Des pièces comme celle-ci nécessitent environ 18 à 19 heures de travail. C’est long et physiquement éprouvant. Lorsqu’on observe le métallier à son établi, tout son corps est engagé, il sue, il travaille près des fours, soulève et déplace des pièces lourdes. Ce n’est pas qu’une question de compétence, c’est aussi une affaire de force et d’endurance.

Les écoles comme Boulle vous préparent-elles à cette réalité ?

L’École Boulle vous prépare très bien à la fois à la création et au savoir-faire artisanal. Il existe un lien fort entre le design contemporain et le savoir-faire traditionnel, une forme d’excellence transgénérationnelle cultivée depuis des décennies. J’adore cela.
Par la suite, j’ai été rapidement recrutée par de grandes entreprises, ce qui a structuré ma créativité. J’aime dire que ces organisations aident à transformer les idées marginales en nouvelles normes, ce qui est essentiel dans le processus global d’innovation.
Travailler avec de grands groupes comme L’Oréal et Dior a été extrêmement formateur avant que je ne lance mon propre studio, il y a une dizaine d’années.

Dirais-tu que ton travail est influencé par la Méditerranée ?

Oui, bien que je préfère dire que je suis inspirée par le Grand Sud. Pourquoi ? Parce que le Grand Sud ne connaît pas de frontières.
Ma mère est originaire d’Afrique du Nord, du Maroc. J’ai déménagé plus de trente fois au cours de ma vie. Dans mon monde, les frontières sont fluides, et j’aime cela.
Mon esthétique puise à travers cette région méridionale, un peu de Grèce ici, un peu de Maroc là, l’Espagne, l’Italie, j’ai passé du temps dans tous ces lieux.
Le terme Grand Sud me semble donc le plus approprié. J’ai aussi une relation très forte avec la couleur bleue. Dans mon travail, vous trouverez toutes sortes de bleus, des nuances profondes, marines, qui évoquent des eaux mystérieuses, voire redoutables, ainsi que des tons plus légers, estivaux et joyeux.
J’adore explorer le bleu. C’est une couleur éternelle, à mon sens. Je crois que j’aurai besoin d’une vie entière pour en faire le tour complet.